Pep n’a que 24 ans et a déjà une grande expérience en course au large. Un jour vous le verrez sur l’IMOCA Paprec Arkéa de Yoann Richomme, le lendemain sur le Class40 d’Erwan le Draoulec, et lors de la prochaine Transat Jacques Vabre, routeur pour l’Ocean Fifty Réalités. Même si il a eu ses propres projets de course au large, notamment en Figaro, il est aujourd’hui surtout consultant en météo et stratégie. Il est notamment le routeur du Pôle d’entraînement Mini 6.50 de Concarneau, avec Tom Dolan, skipper du Figaro Smurfit Kappa – Kingspan. Le jeune espagnol nous fait un point sur la course d’Ulysse et les prochains jours.
La veille du départ, Pep était en visioconférence avec tous les membres du pôle de Concarneu, dont Ulysse, pour leur donner les dernières conditions météorologiques. Il a vite annoncé la couleur : une course difficile, avec des trous de vent et une instabilité des systèmes. Après sept jours de course, il garde le même sentiment : « C’est dur pour eux. Je leur avais dit que cette course allait être compliquée. C’est d’autant plus le cas en Mini parce que tu ne vois pas où sont les autres, c’est quand même stressant, tu ne sais jamais ce que tu dois faire… J’ai essayé de les aider du mieux que je pouvais, je leur ai quand même donné les prévisions, qui étaient à peu près fiables jusqu’au Cap Finisterre, ce qui a été le cas en réalité. Ils ont assez bien suivi ce que je leur avais conseillé, j’étais hyper content. Après, je leur ai dit que pour ce qui est de la descente le long des côtes portugaises, rien n’était calé. Les fichiers météorologiques disaient tout et son contraire, à chaque mise à jour il n’y avait rien qui collait… J’ai fait la Mini aussi, et je sais quand tu y es, tu es tellement perdu… Tu as tellement peu d’info et quand ça dur des jours et des jours. Je leur ai dit il n’y avait pas de recette magique. » Pep, de la promotion de la Mini Transat 2019, a dû attendre 2 semaines à la Rochelle avant de prendre le départ, faute de conditions clémentes.
« La situation était assez stable dans le Golfe de Gascogne au départ, même si ça restait incertain à certains moments car le waypoint mis en place par l’organisation était très très bas. » explique-t-il. « Je leur ai dit de faire attention au vent du sud perturbé par les côtes espagnoles, c’est hyper dur à gérer. Ensuite, ils ont dû affronter le front, celui qui causé le report du départ de la Mini Transat au lendemain. Il fallait bien gérer la transition entre un vent de sud-est et le front. Ils ont très bien navigué, Ulysse était en tête ou presque dans la sortie du Golfe. » exprime-t-il fièrement. En effet, entre Bruno Lemonier sur Kalisto & Aérofab et Ulysse sur EQUANS, les Concarnois ont tenu la tête de la flotte dans le Golfe de Gascogne et au passage du Cap Finisterre. C’est d’ailleurs avec Bruno qu’Ulysse a remporté sa première course en Mini l’an dernier, la Duo Concarneau.
Pep est clairement satisfait de la performance de ses poulains : « J’ai hâte de parler avec eux, d’avoir leur débriefing. Pour moi, ils ont pris les bons coups, ils avaient la bonne vitesse, même si je n’avais pas tellement de doute. Ils ont fait une course parfaite. » exprime-t-il. Il émet tout de même des réserves sur la descente le long des côtes, car il sait à quel point il est dur de prendre des décisions stratégiques quand tu n’as qu’un appel à 15h pour prévoir ta météo : « Pour la partie d’après, c’est dur de juger, c’était tellement mou et imprévisible, je leur ai dit de bien écouter la météo »
Au pointage de 16h, Ulysse est 24ème, au sud du Portugal, avec un groupe à l’Est par rapport au reste de la flotte. Pourtant, pour Pep, c’est une bonne option : « Pour moi Ulysse est bien placé, surtout avec le vent annoncé. Avant la course, je leur ai tout de même dit d’éviter d’aller trop à l’ouest ou trop à l’est, et surtout que quand c’est incertain, il vaut mieux rester proche de la ligne du bord rapprochant, pour faire le moins de milles. Lorsque le vent de nord-est va s’établir, il sera plus avantageux d’être à l’Est. Je pense que c’est pour ça qu’il s’est placé là-bas. Son Mini c’est un super bateau, il va très vite avec. » salue le Catalan. « La flotte est séparée en trois groupes, et si je devais choisir un des trois, c’est à peu près dans le groupe d’Ulysse où j’aimerais être, parce qu’ils vont avoir le vent en premier. Ils seront dans le sens de la bascule, ils auront de plus en plus de vent, ils pourront empanner avant les autres. »
Pour ce qui est de la suite, Pep est confiant : « À partir de ce soir et demain, la météo va être super sympas, c’est enfin ce qu’ils sont venus chercher. Les Alizés portugais sont à peu près là, je dis à peu près car c’est encore perturbé à l’Ouest. Globalement, entre les alizés et les Iles Canaries, la situation commence enfin à se fixer proporement, avec une quinzaine de nœuds qui vient de nord-est. Ils vont pouvoir prendre une bonne rotation du nord-est, faire un bon bord, faire une « aile de mouette »* pour jiber et aller jusqu’à Las Palmas. Il va pouvoir faire mettre son spi, avec du soleil, 13 voire 15 nœuds, le bonheur. Ils vont être content, je pense, d’avoir ces alizés. Ils seront content d’arriver aussi. » souligne-t-il.
Il explique tout de même que rien n’est joué. Vu le niveau des marins et la performance des bateaux, il faudra bien prévoir ses derniers bords. « Il faut bien se placer dans la bascule. Plus le vent va vers les Canaries, plus il « prend de la droite », donc l’enjeu va être de caler un bon bord de tribord avant de retrouver de la droite, ça sera important de bien placer l’empannage pour descendre bâbord amure avec un vent qui tourne petit à petit vers la droite. Du coup, le bord va être que rapprochant, ce qui est très bien. Normalement, ils savent tous que le vent ne va faire que prendre de la droite, donc il faut bien exploiter la gauche qu’ils vont avoir cette nuit, faire du tribord vers l’Ouest, pour ainsi accompagner la rotation du vent. »
Cependant, il craint que ces vents fortement appréciés par les marins ne vont pas rester éternellement : « À la fin de semaine, la fenêtre semble se refermer un peu, les alizés semblent se perturber énormément. À partir de vendredi, il n’y a plus de vent le long de la côte du Maroc, tout se complique. Il y a beaucoup de perturbations dans l’Atlantique et elles commencent aux Îles Canaries. Même si ils seront déjà en approche des Îles, ce ne sera pas gagné, donc jusqu’à la fin il faudra se donner. Ces grosses bulles sans vent peuvent créer des énormes écarts. Il reste 620 milles pour Ulysse, il devrait arriver dans 4 jours, il devrait arriver à temps. C’est vraiment à partir de vendredi soir qu’il faudra être arrivé » se rassure-t-il. On se souvient de l’arrivée de la première étape des Sables – Les Açores – Les Sables 2022 dans la molle, qui a été fatale pour certains, plutôt avantageuse pour Ulysse, remportant la troisième place.
Pep est tout de même assez confiant quant à la performance d’Ulysse avec son plan Raison à bout rond « Avec son bateau, Ulysse va sans doute bien avancer durant les prochains jours. Les Maxi vont quand même plus facilement plus vite. Ils sont surtout plus confortables. Vivre à haute vitesse, c’est beaucoup plus cool que dans un Pogo 3. Après à voir, Bruno et Michael Gendebien (ndlr sur les Pogo3 893 et 921) connaissent bien leur bateau et vont aussi tout donner. En tout cas, Ulysse a toutes les armes pour être devant. » raconte-t-il à propos des leaders actuels de la flotte en Série, tous les deux Concarnois. D’une manière générale, Pep sait aussi que le niveau est élevé entre les bateaux de Série « Les bateaux sont très proches en termes de performance, je pense que la fin va se jouer à rien. » La course est donc loin d’être terminée.
Pour suivre l’avancée d’Ulysse ⬇️
*Au lieu de faire un 90° direct sur l’autre amure quand le vent va tourner, on rentre un peu dedans à l’avance, d’une demi-heure environ, donc en se laissant un peu déporter. Et on vire. Sur la carte, cela va dessiner une sorte d’aile de mouette.
Propos recueillis par Victorine HAMON